À force de jouer au spectacle, l’UFC frôle le script
- Malo
- 4 nov.
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L’UFC traverse une nouvelle tempête. Le combat entre Isaac Dulgarian et Yadier Del Valle, disputé le 1er novembre 2025 à Las Vegas, a mis en lumière d’inquiétantes anomalies de paris, rappelant le spectre du scandale Minner-Krause de 2022. Enquête interne, rumeurs d’intervention du FBI, soupçons autour de l’arbitrage : le doute s’installe. Entre vrai combat et faux semblants, l’UFC joue plus que sa réputation mais sa crédibilité.

Le 1er novembre 2025, l’UFC Vegas 110 devait être un event de routine, il s’est transformé en un cauchemar médiatique. Quelques heures avant le combat entre Isaac Dulgarian et Yadier Del Valle, les opérateurs de paris sportifs constatent un mouvement de cotes brutal : Dulgarian, favori à –250, recule jusqu’à –150. Le Westgate SuperBook retire le combat de son offre, d’autres plateformes bloquent les mises. Quelques minutes plus tard, Del Valle s’impose par soumission au premier round. La chronologie suffit à semer le doute.
Dès le lendemain, Caesars et William Hill annoncent le remboursement intégral des paris perdants, une pratique rarissime. L’UFC, prise de court, confirme l’ouverture d’une enquête interne menée par son partenaire IC360, chargé de la surveillance des marchés de paris et de l’intégrité sportive. Deux jours plus tard, Isaac Dulgarian est officiellement retiré du roster : la sanction tombe avant même la fin de l’investigation. Pour beaucoup, la réaction traduit la volonté de l’UFC d’éviter un nouveau séisme du type James Krause/Darrick Minner.
L’UFC face à son passé, le spectre du “Minnergate”
Depuis cette affaire, l’organisation de Dana White s’est dotée d’un arsenal de contrôle inédit : partenariat avec IC360 (ex-U.S. Integrity), restrictions des paris pour les combattants, et collaboration étroite avec les commissions athlétiques d’État. Le système s’appuie sur des modèles de détection de flux : horaires des mises, volumes par opérateur, écarts statistiques. Quand une ligne s’effondre sans cause visible (ni blessure, ni changement d’adversaire, ni élément public), une alerte est déclenchée. C’est exactement ce qui s’est produit pour Dulgarian avec un effondrement en une heure, sans explication plausible, sur un combat de bas de carte. Les comparaisons avec le précédent Krause sont inévitables.
C’est pourtant un autre volet qui va embraser les réseaux. Dans les jours qui suivent, plusieurs comptes spécialisés et médias diffusent une rumeur : le FBI aurait identifié une centaine de combats suspects et s’intéresserait à plusieurs arbitres, dont Jason Herzog. L’information est attribuée à un journaliste américain, Harry Mac, mais aucune source officielle ne la confirme. Ni le FBI, ni la Nevada Athletic Commission, ni l’UFC n’ont annoncé la moindre procédure à l’encontre d’Herzog, arbitre reconnu pour sa rigueur et sa transparence.

L’arbitre Jason Herzog se retrouve lui aussi dans la tourmente. Longtemps considéré comme l’un des officiels les plus fiables de l’UFC, il fait désormais l’objet d’un feu nourri de critiques pour plusieurs décisions controversées : arrêts jugés trop tardifs, interventions précipitées ou gestion discutable de fautes en combat. Lors de l’UFC Seattle, il avait laissé passer un eye-poke de Song Yadong sur Henry Cejudo sans déduction de point, avant de reconnaître son erreur. Et en juillet 2025, à Abu Dhabi, il avait laissé Mohammad Yahya encaisser six knock-downs avant d’interrompre le combat face à Steven Nguyen, provoquant l’indignation des commentateurs. Ces décisions, cumulées à son nom cité dans les rumeurs d’audit du FBI autour de combats suspects, ont suffi à placer Herzog au centre d’un débat brûlant sur l’intégrité de l’arbitrage. Pour beaucoup, il incarne désormais les tensions d’un MMA pris entre la rigueur du sport, la pression du spectacle et la méfiance croissante du public.
L’emballement médiatique tient, pour le moment, davantage de la suspicion généralisée que d’une enquête réelle. Dans un sport historiquement marqué par la défiance — du temps du Pride FC et des soupçons de “works” jusqu’à l’affaire Krause, la moindre irrégularité de cote prend aujourd’hui des proportions démesurées.
Un test grandeur nature pour la crédibilité du MMA moderne
L’affaire Dulgarian rappelle à quel point le MMA contemporain est vulnérable à la perception d’intégrité. Le pari sportif, devenu pilier économique et vecteur d’engagement pour les fans, est aussi une arme à double tranchant : il suffit d’une anomalie statistique pour semer le doute sur l’ensemble d’un event. L’UFC, désormais partenaire d’organismes d’audit et d’autorités étatiques, joue une partie de sa crédibilité.
Aujourd’hui, les faits établis se limitent à quatre points : un mouvement de cotes inhabituel, des remboursements de paris, une enquête IC360 et la mise à l’écart d’Isaac Dulgarian. Mais l’incident suffit à relancer un débat essentiel : celui de la transparence, du contrôle et du lien toujours plus étroit entre sport, argent et spectacle. Dans cette équation, la ligne est fine entre le frisson du pari et la suspicion de manipulation. Et pour l’UFC, la moindre erreur de communication peut transformer un simple combat de préliminaire en scandale mondial.
Quand le réel flirte avec le scénario
L’affaire Dulgarian éclate à un moment charnière pour l’UFC, désormais intégrée au sein de TKO Group Holdings, structure mère commune avec la WWE. Ce rapprochement entre sport de combat et divertissement scénarisé incarne toute l’ambiguïté de cette époque : celle où la frontière entre compétition authentique et spectacle orchestré devient de plus en plus poreuse. L’UFC se veut l’antithèse du kayfabe — ce principe fondateur du catch qui fait du faux une illusion de vrai — mais chaque soupçon de manipulation ou de pari douteux fissure un peu plus cette promesse de pureté sportive.
D’autant que le problème touche à une réalité plus profonde : la précarité économique de la majorité des combattants. Derrière les superstars millionnaires du top 5, la grande majorité des athlètes UFC gagnent à peine de quoi financer un camp d’entraînement complet. La bourse moyenne tourne autour de 12 000 $ à 20 000 $ par combat, avant impôts, frais de managers et coaches. Un KO, une blessure, ou une défaite peut signifier la perte d’un contrat. Dans un tel système, les dérives — tentations de paris, arrangements, offres illégales — trouvent un terrain fertile.
Et c’est là que l’ironie devient tragique : sous la bannière d’un groupe qui revendique la fusion du sport et du spectacle, les combattants les plus modestes deviennent les maillons faibles d’une économie qui les pousse à risquer plus que leur santé. L’UFC, en quête de crédibilité face aux soupçons de trucage, se retrouve confrontée à une contradiction fondamentale : comment garantir l’intégrité du sport quand ceux qui le font vivre sont payés comme des figurants ? À l’heure où TKO Group capitalise sur le storytelling et le show, le MMA, lui, joue sa survie symbolique : prouver que malgré les lumières, les paris et les profits, le vrai combat reste encore… vrai.



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